La Liberté

La face cachée des (faux) pitres

Il est des chansons particulièrement drôles et loufoques dont on ne soupçonne pas que leurs auteurs puissent être beaucoup moins rigolard qu’il n’y paraît…

Derrière des chansons particulièrement drôles et loufoques se cachent souvent des artistes au grand talent. @Papafox
Derrière des chansons particulièrement drôles et loufoques se cachent souvent des artistes au grand talent. @Papafox

Yvan Pierri

Publié le 17.09.2023

Temps de lecture estimé : 5 minutes

Bobby McFerrin  

Le malentendu entourant la figure de Bobby Mcferrin est aussi grand qu’il est tenace. Le chanteur, connu pour son tube planétaire Don't Worry Be Happy est encore aujourd'hui largement identifié comme l'auteur de cet unique succès. Là où beaucoup le voient comme, au choix, le sympathique ou antipathique bonhomme qui enjoint l'auditeur à ne pas s'en faire et à être heureux - cela dépend de votre degré d’appréciation de la chanson -, Ils sont peu à soupçonner l’ampleur du talent artistique du personnage. Un premier indice ; il est le seul et unique musicien de Don’t Worry Be Happy, qui est complètement enregistré a capella tout comme le sont nombre de ses autres disques. Cela a souvent pour effet d’étonner l’auditeur lambda tant le titre semble jouir d’un habillage instrumental tout à fait classique. Or, c’est bien mal connaître Bobby McFerrin. Le chanteur américain est en fait reconnu par ses pairs comme étant l'un des vocalistes les plus virtuoses de sa génération. Fils du déjà très émérite chanteur afro-américain Robert McFerrin Sr., Bobby a joué avec les plus grands du jazz et de la musique classique comme Yo Yo Ma ou Chick Corea, mettant son incroyable talent vocal au service des différents genres musicaux dans lesquels il s’illustre. Le chanteur américain est également connu pour une approche très improvisée de la musique savante. Sur scène, il n'est pas rare que McFerrin, qui prévoit rarement ce qu’il va chanter, fasse participer le public en improvisant des structures harmoniques complexes et en jouant des nombreuses techniques vocales qu’il a dans sa manche. Parce qu’une image vaut tous les discours, voici une vidéo de l’artiste à l'œuvre...  

 

 
Warren Zevon 

Si Warren Zevon est principalement associé par le grand public à son grand succès "Werewolves of London" - chanson par ailleurs extrêmement ludique avec son rythme bondissant, ses paroles ironiques pleine de références aux vieux monstres de la Universal et ses “Ah- Hooo !” singeant les fameux loups-garous du titre -, c’est en réalité un musicien complet et un excellent parolier. Sa vie est à l’image de ses chansons: un mélange hétéroclite d’unions improbables. Fils d’une mère Mormone et d’un père immigré ukrainien, bookmaker (preneur de paris) pour le fameux gangster Mickey Cohen, il a étudié quelque temps la musique chez Igor Stravinsky, avec qui il s’était lié d’amitié et a très tôt travaillé dans l’industrie musicale, en traversant les genres et les groupes. Il a souvent su utiliser avec force justesse un humour acerbe et loufoque pour discrètement distiller un pessimisme latent. Avec son goût pour les histoires de hors-la-loi, de mercenaires et de tueurs psychopathes, il se plaît à décrire avec un certain détachement ironique des situations dérangeantes, ambiguës et souvent amorales, maniant l’art de l’euphémisme comme dans son fameux Excitable Boy, ou en les habillant  d’un réalisme magique inquiétant comme dans la magnifique Roland the Headless Thompson Gunner. Zevon sait également faire preuve d’une sincère mélancolie comme dans Veracruz ou Frozen Notes, ce qui le met d’emblée dans la catégorie de ses artistes excentriques et cyniques, faussement loufoques, et toujours élégants…  

 

Yello 

“Ooooo Yeaaaah” - Ces deux syllabes sont impossibles à prononcer sans les suivre du fameux “Ch-k...ch-k-ch-kah” du tube éponyme du duo suisse Yello. Depuis que le morceau fut utilisé par John Hughes dans le chef-d’œuvre La folle journée de Ferris Bueller, cette chanson est devenue en quelque sorte l’hymne de la caricature du matérialisme auto-satisfait des années 80. En effet, avec ses vrombissements de voiture et son ambiance érotique à souhait, le titre de Dieter Meier et Boris Blank était le choix parfait pour introduire la splendide Ferrari 250GT SWB California du père de Cameron, le touchant meilleur ami dépressif du cancre Ferris Bueller qui décide de se l’approprier pour une journée. Symbole du consumérisme étouffant et vide de sens des yuppies de l’époque reaganienne, la voiture est iconisée avec ce morceau qui suinte le matérialisme érotomane, rendant la scène d’autant plus hilarante. Depuis, elle a été utilisée dans nombre d’autres créations audio-visuelles, des films (le Secret de mon Succès) aux séries animées (Les Simpsons), en passant par les publicités. Oh Yeah est cependant l’arbre qui cache la forêt, tant Yello a été un groupe fondamental dans l’émergence de la musique électronique, ayant contribué à développer l’art du sampling. Sans Yello, la techno, la House et le Hip Hop n'auraient probablement pas été les mêmes… 

 

 

Articles les plus lus
La Liberté - Bd de Pérolles 42 / 1700 Fribourg
Tél: +41 26 426 44 11